La jeune femme qui ne rêvait pas (II)

Épisode 2 : Safari nocturne.

Les nuits namibiennes vous promettent des enchantements ou des châtiments, selon que vous supportiez ou non le climat de l’hémisphère sud, la chaleur, les cris d’animaux, la nourriture et l’eau de la région. Après cette nouba la veille au camps d’Etosha, j’eus le loisir d’explorer la faune alentours, véritable trésor de ce pays  et de faire connaissance avec mes compagnons de safari : un couple d’une soixantaine d’années, à la nonchalance typiquement anglaise, qui firent le tour du lac salé d’Etosha ( visible de l’espace) en ma compagnie. Nous eûmes quelques mots d’esprit à propos des mœurs des éléphants du désert, qui sont tout sauf inoffensifs. En effet, oublions l’image d’Epinal des peluches ou des Babars de notre enfance dans lesquels la bonnhommie de ces colosses semblait refléter leur caractère véritable. Rien de plus faux ! L’éléphant est doté d’une intelligence exceptionnelle mais également d’un sens du territoire qui peut le pousser à adopter des comportements agressifs, particulièrement chez les vieux mâles solitaires. Il peut, du haut de ses cinq tonnes, vous réduire en bouillie  à l’intérieur de votre véhicule.

Nous connûmes ainsi une grosse frayeur lorsqu’un pachiderme entama un sprint en notre direction, gèné par notre présence. Mais notre conducteur (le jovial Jonas qui rit de tout) réagît de la meilleure des façons en déviant la trajectoire de notre jeep sans nous éloigner trop rapidement (la fuite éperdue étant souvent incitative pour l’agresseur).

C’est donc en riant de cette aventure, rendus complices par ce moment intense que nous revînmes au camp ou les progénitures de mes anglais attendaient au bar, une Windhoec Lager à la main.

« May i present you my precious daughters, Sonia and Haley » me dit le père qui me prenait chaleureusement par les épaules. J’avais donc sympathisé avec les parents de Haley, la sublime, qui m’accueillit avec ce sourire éblouissant qui me faisait chavirer. Je faisais connaissance avec toute la famille et dois avouer que je me pris à rêver que tous les anglais du monde fussent aussi amicaux, spirituels et émouvants. Sur l’insistance de Lennox et de sa chère Amy (papa et maman), je fus convié à diner  avec toute la famille. Il est possible d’imaginer les échanges que des personnes de nationalités différentes peuvent avoir dans un pays tiers aussi envoutant que la Namibie. Mais je garde de cette soirée une émotion que je porterai en moi toute ma vie. Haley semblait protectrice avec sa sœur (étudiante en médecine surdouée mais très réservée) et ses parents paraissaient me traiter comme un des leurs, spontanément adopté.

À la fin du repas et après avoir proposé à toute la famille un safari nocturne, Haley me confirma sa venue ainsi que celle de Sonia, Lennox et Amy se couchant tôt. J’eus le temps de lui dire tout le bien que je pensais de sa « tribu ». Après avoir regardé dans le vague, elle me fixa de ses yeux émeraude, puis dît : « on aura plus de temps pour parler ce soir, tu sauras pourquoi mes parents t’apprécient autant. Et je te dirai aussi pourquoi ta question sur mes problèmes de sommeil m’a gènée hier soir ».

Lorsque je repartis dans ma tente pour me changer, j’emportais avec moi mes questions, confus et intrigué à propos du mystère Haley. Mais je suis d’un naturel pugnace et persévérant. J’essaierais de percer le mystère de cette jeune femme qui possédait toutes les grâces humainement possibles, mais tourmentée par des démons qui lui gâchaient l’existence. 

Le soir vers dix-neuf heures trente (le soleil se couche tôt dans l’hémisphère sud qui connait des saison inversées par rapport à notre latitude parisienne) nous partîmes Cédric, Haley, Sonia et un couple d’italiens à bord de la Jeep de mon cher ami ranger, qui parut extrêmement  intéressé par la jeune étudiante en médecine. Sonia essayait de répondre à ses fanfaronnade du mieux qu’elle pouvait, les italiens se prenaient en photo au flash, ce qui nous laissa quelques minutes, Haley et moi pour échanger. D’autant plus que je ne peux décrire l’athmosphère dans laquelle nous baignions : le safari nocturne n’est pas un attrape-touristes, c’est une façon de découvrir le monde de la savane, qui s’éveille à la faveur du rafraîchissement nocture des températures pour partir chasser, boire, brouter ou se reproduire.

À l’affut de sons fascinants, des grognements, hullulements, des chants et feulements , ce lieu rendu d’autant plus étrange et inquiétant que nous étions dans l’obscurité, paraissait jouer la partition d’une symphonie de la nature sauvage qui nous faisait frissonner malgré les blagues de Cédric. Celui-ci braqua le projecteur de la Jeep sur un varan des steppes qui devait mesurer au moins deux mètres et semblait fuir un prédateur ; mais quel animal était en mesure d’effrayer un varan d’un tel gabarit ? Cédric nous demanda le silence. Alors, dans un éclair, à quelques mètres devant nous, un léopard apparut dans notre faisceau lumineux; il passa le ventre à terre en ondulant puis tourna sa tête majestueuse en notre direction. Cédric nous fît signe de ne pas bouger. Le gigantesque félin humait dans notre direction, nous scrutant de sa pupille noire et or. Puis, sans l’once d’une crainte, repartit en suivant le chemin obscur de sa traque dans un froissement d’herbes hautes à peine perceptible. Un vrai moment d’émotion, un émerveillement qui peut paraître infantin, mais qui restera pour moi une rencontre intime avec les forces de la Nature. C’est tout simplement inoubliable. Lors de ce moment d’intimité exceptionnel, Haley me prit le bras et déclara sans préliminaires :

« Nous avons perdus notre frère il y a huit ans à la suite d’une leucémie et depuis notre famille est… très fragile. Nous essayons de nous serrer les coudes mais la souffrance est présente. Tu comprends pourquoi ils semblent t’apprécier énormément, car il avait l’âge que tu as aujourd’hui, lorsqu’il est mort. C’était une personne qui faisait chanter la vie, enthousiaste, jamais fatigué, bienveillant. Il a vécu comme si il sentait que son temps sur terre serait court. Et depuis, je suis une sorte de mère poule pour ma sœur et mes parents ».

J’ai dit comprendre sa peine et tentai de compatir à cette douleur mais même si l’on emploie les mots « partager la douleur », on sait tous que l’on ne peut vivre et ressentir à la place de l’autre l’expérience d’un deuil douloureux. Je lui demandai si son état de tension était la raison pour laquelle elle voulait essayer de fumer du cannabis la veille, lors de notre soirée chez Jonas. Elle me répondit en secouant la tête :

« Le cannabis, ce n’est pas pour me détendre, ce serait plutôt pour dormir. Lorsque l’état de santé de Peter, mon frère s’est aggravé, nous avons organisé ma mère et moi un tour de garde pour le veiller pendant la nuit. Cela a duré plusieurs mois. Depuis sa mort, nous avons toutes les deux perdu le sommeil. J’ai essayé la chimie des antidépresseurs mais ne pouvais plus travailler et tenir debout, c’était insupportable ; alors je vis constamment à court d’énergie, je me lève le matin exténuée et me couche le soir avec un livre ou une série en attendant le sommeil. Je n’ai pas la vie que j’aurais rêvée d’avoir » dit-elle les larmes aux yeux.

Pendant que la Jeep nous ramenait vers notre camp, j’essayais de digérer ces confidences qui m’obligeaient à venir en aide à deux dames, l’une d’elle prenant une place très importante dans mes pensées… Je décidais de donner rendez-vous à Haley et à sa mère le lendemain soir. Je me tournai vers Cédric et tout en le remerciant pour cette merveilleuse ballade nocturne, lui demandais de me trouver quelques grammes de bonne weed, du pur cannabis africain pour le lendemain… Et un tamis à farine.. Il était temps pour moi de mettre en pratique les recettes miracles qui avaient changé profondément ma conception de la santé grâce au chanvre cannabis, cette plante merveilleuse…

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